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Le Latécoère-631 - Aquarelles de Geo Ham - L'Illustration - 5183 - 11 Juillet 1942

L'hydravion transatlantique Latécoère-631 en plein vol : les couleurs orange et noir sont celles du code international transatlantique.
Après la résurrection de l'industrie aéronautique française, que marqua, en mars dernier, l'envol de l'hydravion postal Potez-161 (voir L'Illustration du 21 mars), comment ne pas saluer son incroyable épanouissement au moment où se terminent les derniers travaux de l'hydravion transatlantique Latécoère-631 ?
Dernier-né d'une série à l'éclosion de laquelle n'a jamais cessé de veiller jalousement le directeur technique de la Société d'industrie d'aviation Pierre-Georges Latécoère, l'ingénieur Marcel Moine. Dès à présent, le Laté-631 se présente comme le digne successeur de ces Laté-300, Croix-du-Sud et Laté-521, Lieutenant-de-Vaisseau-Paris et Laté-522, Ville-de-Saint-Pierre, qui, parmi tant d'autres, ont jalonné avec éclat la production des usines de Toulouse.
C'est en effet dans ces chantiers de Toulouse-La Périole, derrière la gare Matabiau, que, depuis novembre 1940, une élite d'ingénieurs, d'agents de maîtrise et d'ouvriers ont dressé ce monstre à la fois imposant et débonnaire, élancé et massif qu'est le Laté-631.
Embarquement du fret par la porte de soute latérale,
disposée dans l' épaisseur de l'aile,
à l'aide d'un palan sorti du fuseau moteur.
Cet hydravion obéit en tous points au programme de constructions aériennes arrêté dès 1938 et dont la guerre a retardé la réalisation. 70 tonnes de poids total, plus de 6.000 kilomètres d'autonomie, une vitesse de croisière de 300 km.-h., telles étaient les caractéristiques de principe que devait respecter l'hydravion transatlantique et que respectera effectivement le Laté-631.
Entièrement métallique, ce monoplan à aile épaisse est doté de 6 moteurs Wright Double Row de 14 cylindres, d'une puissance nominale de 1.100 CV, mais qui peuvent donner 1.600 CV pendant deux minutes au décollage, entraînant des hélices Ratier à pas variable.
La disposition intérieure de l'hydravion comporte une nette séparation en deux étages qui l'apparente bien à un navire volant : 1° l'étage supérieur, réservé exclusivement à l'équipage, poste de pilotage et de commandement à l'avant ; poste des mécaniciens (communiquant avec les deux couloirs de visite avant et arrière disposés dans la longueur de l'aile gauche et à droite de la coque centrale); soute à bagages; 2° l'étage inférieur : à la proue, le poste de manœuvre marine (ouvert pendant les opérations d'amarrage), le bar-salon, le couloir central, de chaque côté duquel sont réparties six cabines à deux couchettes, la salle à manger, les installations sanitaires, les cuisines, la salle de douches ; enfin, correspondant avec le logement et les commandes du gouvernail marin escamotable en vol, le poste arrière de manœuvre marine permettant la fixation de la queue du fuselage à un traînard ménagé pour fixer l'hydravion arrêté à la surface de l'hydrobase.
Le gouvernail marin (escamotable en vol)
permettant les évolutions de l'hydravion
à la surface de l'hydrobase d'escale.
Dérision d'un sort impitoyable, au moment où il ne reste que quelques jours pour mettre la dernière main à l'ensemble imposant et inaccoutumé du Laté-631, commence le débitage en cinq larges fardeaux de l'hydravion qui en permettra le transport et le remontage sur les bords de cet étang de Berre où déjà se sont donné rendez-vous ses deux cousins germains les hydravions Potez-161 et le Sud-Est-200.
C'est par la route qu'aux premiers jours du mois d'août le Laté-631 fera sa première sortie, quittant Toulouse pour Marignane.
Plus tard il sera possible d 'admirer en détailles les innovations de cette gigantesque machine, qui pèse autant que trois wagons métalliques dont les trois longueurs mises bout à bout représentent l'envergure. Dès à présent il faut bien en noter les innovations les plus importantes en matière de technique aéronautique : 1° la conduction directe des soutes à essence dans l'aile sans paroi supplémentaire ; 2° le recouvrement des tôles d'acier en contact avec l'eau d 'une application par procédé spécial d'une pellicule d'aluminium pur; 3° un système de compensation par servo-commande, absorbant les réactions des gouvernes, évitant toute fatigue au pilote ; 4° la simplification audacieuse du rôle de ce dernier au point de vue de la mécanique (le pilote ne connaît plus que la puissance des moteurs, par l'intermédiaire des compte-tours qui, seuls, figurent sur son tableau de bord; le mécanicien a la responsabilité de tout le reste).
Poste avant de manœuvre marine
pour l'accostage et l'ammarage de l'hydravion.

La porte qui ferme le poste se relève au-dessus
de la coque et se ferme par emboîtage sur rainures,
assurant l'étanchéité parfaite de la proue.
Notons encore que le poste de pilotage et de commandement, construit en aluminium, a été recouvert d 'un enduit de couleur verte afin que le pilote et ses aides ne risquent pas d 'être éblouis soit par le soleil, soit par la réverbération.
Par ailleurs, un très récent accord vient d 'autoriser sur les ailes, le fuselage et les plans fixes verticaux l'apposition de bandes tricolores. Cette décision des plus importantes aura pour effet de marquer d 'une façon indiscutable la nationalité de l 'appareil et, par cela même, de réduire au minimum les risques d 'erreur que des avions belligérants pourraient faire courir à un engin purement commercial.
Sept hommes d'équipage (dont un chef de bord-navigateur, deux pilotes, deux radio-mécaniciens ; vingt-quatre passagers couchés, ou plus exactement pouvant se coucher, telle est la formule nouvelle Atlantique-Nord du Laté-631 à laquelle, depuis plus de dix-huit mois, cinq cents ouvriers, du bureau d'études à l'établi, consacrent leurs patients efforts, au milieu des pires difficultés, des détails et des contretemps. Dans le hall immense de Toulouse-La Périole ne cessent de s'affairer, chacun à sa tâche, séparés par des dizaines de mètres ·de distance sur le corps de l'hydravion géant, des spécialistes désintéressés et ardents : eux et leur grand oeuvre portent témoignage du labeur fécond et méconnu que les ailes françaises, à la recherche de l'espoir, ont su vouloir et réaliser.

VUE DE TROIS QUARTS AVANT DU LATECOERE-631 APRES SON AMERISSAGE
Le poste avant de manœuvre marine est ouvert, les deux flotteurs (escamotables en vol) sont sortis pour assurer la stabilité latérale ; on aperçoit celui de la demi-aile gauche, disposé sous le sixième moteur.



Après le Potez-161, le Latécoère-631 est le second prototype de grand hydravion transatlantique dont la France a terminé la construction depuis l'armistice. Quand le troisième prototype, le Lioré-49, sera achevé, notre aéronautique commerciale possédera une véritable gamme d'appareils géants dont l'expérience démontrera alors la valeur comparée.
Entre les trois appareils existent, en effet, des particularités techniques qui les différencient, ainsi qu'une sorte de progression dans l'ordre des dimensions, de la puissance et de la charge utile. Sous ce dernier aspect, un classement les placerait dans l'ordre suivant : Potez-161, Lioré-49, Latécoère-631.
C'est ainsi que, dans cette hiérarchie, les envergures croissent respectivement de 46 mètres à 52 m. 200 pour atteindre 57 m. 430. Pareillement, les longueurs progressent de 32 m. 370 à 40 m. 150, puis à 43 m. 300. En proportion avec ces dimensions, les poids totaux accusent une progression de 43 tonnes à 66 tonnes, pour finir à 70 tonnes. 
Chacun des trois prototypes est équipé de six moteurs, répartis trois par trois de part et d'autre de la carlingue. Les groupes moto-propulseurs accusent des puissances nominales croissantes : 930 CV pour le Potez, 1.100 CV pour le Lioré et 1.300 CV pour le Latécoère.
Si nous considérons maintenant les rayons d'action à pleine charge de ces trois hydravions, nous constatons qu 'ils répondent tous largement aux conditions des cahiers des charges : chaque appareil est, en effet, à même de parcourir 6.000 kilomètres sans escale avec un vent contraire de 60 kilomètres à l'heure.
Le poste des mécaniciens, communiquant avec le poste de commandement ( ci-dessous).
A droite. le premier mécanicien contrôle la bonne marche des moteurs, surveille les manomètres, les thermomètres ; à gauche, le deuxième mécanicien assume la surveillance des accessoires secondaires (consommation d'essence et d'huile, fonctionnement des dégivreurs, etc.) . Debout, il occupe la place du navigateur qui. la nuit, peut opérer par ce large panneau, et protégé par un "déflecteur", les relèvements astronomiques, "faire le point". Les deux couloirs de visite qui traversent l'aile dans toute sa longueur aboutissent dans ce poste, directement pour le couloir de visite des moteurs disposé dans le bord d'attaque, par la chambre arrière pour le couloir de visite des ailerons dans l'épaisseur maximum de l'aile.
Quant aux vitesses de croisière, elles varient légèrement, dans les proportions suivantes: 290 km.-h. pour le Potez et 300 km.-h. pour le Lioré et le Latécoère. On s 'étonnera peut-être du fait que le premier de ces prototypes ait une vitesse moyenne inférieure seulement de 10 kilomètres par rapport à ses rivaux alors que la puissance de ses groupes motopropulseurs est nettement plus faible. Mais le Potez, hydravion postal plus qu'hydravion commercial, n'est prévu que pour le transport de sept passagers assis, tandis que le Lioré pourra en loger 40 couchés ou 70 assis et que le Latécoère en comportera 34 couchés ou 40 assis. Egalement, le premier sera à même de prendre à son bord, tout en poste, fret et bagages, 2.580 kilos, alors que le second chargera 3.100 kilos et le dernier 5.300 kilos. Dans ces conditions, la moindre puissance du Potez se trouve compensée par une charge utile également moindre, d'où une vitesse de croisière à peine inférieure à celle des deux autres prototypes.
Le poids du carburant pris à bord variera naturellement selon les charges emportées, mais cette variation sera loin d'être proportionnelle. Compte tenu des passagers, le Potez totalise en effet une charge globale de 3.000 kilos, tandis que le Lioré et le Latécoère sont à même le premier de transporter utilement 4.500 kilos et 5.000 kilos le second. Or, le Potez n'exige pour 6.000 kilomètres de rayon d'action que 12.600 kilos d 'essence, cependant que le Lioré en requiert 23.000 kilos et le Latécoère 20.000 kilos. Sous cet aspect la comparaison est incontestablement en faveur du Potez.
Avec ces trois hydravions d'une grande hardiesse de conception et d'une parfaite réalisation, la France, le jour des compétitions pacifiques revenu, tiendra dans la concurrence internationale un rang presque privilégié.

Jacques FAUGERAS


Le poste de pilotage et de commandement.
A gauche, au premier plan, le navigateur-chef de bord devant sa table à calcul, sur laquelle s'inscrit la route suivie par l'avion ; au deuxième plan, le premier pilote ; à droite au deuxième plan,le deuxième pilote ; au premier plan, le radio ; au centre, la tourelle du compas de relèvement, portant sur son socle les volants de correction d'incidences des ailerons et d'empennage. Au-dessus du radio, le disque indicateur d'azimut du cadre récepteur de radiogoniométrie, permettant au radio de situer à tout moment la position de l'hydravion par "triangulation".

Œuvres de Lucio Perinotto








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Un Nouvel Hydravion Transatlantique - Le Potez-161 - Aquarelles de Geo Ham - L'Illustration - 5167 - 21 Mars 1942

L'hydravion transatlantique Potez-161, vu de trois quarts avant, au sol sur son chariot de mise à l'eau, d'un poids de 12 tonnes.
Près du gros appareil, la maquette volante établie à une échelle voisine du tiers (1 : 2,6).
Au temps des compétitions aériennes pacifiques, la traversée régulière de l'Atlantique-Nord constituait un enjeu commercial et de prestige des plus importants. C'est ainsi qu'en 1936 un technicien français de
grande classe, l'ingénieur pilote Hurel, concevait et présentait aux services du ministère français de l'Air les plans d'un hydravion transatlantique capable d'effectuer la traversée de l'Atlantique-Nord en vingt heures.
Les années 1937 et 1938 étaient partiellement consacrées à une série exceptionnellement méthodique d'études et d'essais sur maquette, au tunnel et en vol. En effet, il fut établi une maquette volante à l'échelle de 1 : 2,6 (voisine du tiers) et les essais de ce « petit hydravion » à six moteurs, de près de 18 mètres d'envergure, apportèrent des enseignements précieux qui donnèrent au Potez-161 ses formes définitives. Parallèlement, la fabrication des ailes et de la coque fut entreprise dans les ateliers de la S.N.C.A.N. et conduite avec célérité. Quand, en septembre 1939, la guerre éclata, les gros ensembles terminés (coque, ailes, empennages) quittèrent l'usine, affectée aux fabrications de guerre, et gagnèrent Le Havre, où la construction devait se poursuivre et s'activer.
Mais, par suite des circonstances militaires, elle ne put reprendre qu'en avril 1940, pour être interrompue deux mois plus tard. Les moteurs furent alors dispersés, des pièces essentielles disparurent, la coque fut même percée d'une balle de mitrailleuse. Il sembla à ce moment que le Potez-161 était condamné. Après de nombreuses négociations avec les autorités militaires allemandes, la reprise des travaux et leur conduite à bonne fin furent décidées. En mars 1941, les gros éléments de l'appareil qui avaient été évacués au Havre furent ramenés et une enquête minutieuse démontra qu'ils n'avaient presque pas souffert des événements. En six mois, les travaux de finition de l'appareil furent terminés, travaux considérables et extrêmement malaisés si l'on songe à toutes les difficultés de réapprovisionnement en matières premières, à toutes les archives égarées, etc.. Aujourd'hui ce magnifique hydravion transatlantique est prêt à subir ses essais définitifs et à entrer en service.
Mécanicien dans l'aile droite.
Le déplacement se fait à l'aide d'un chariot électrique qui permet d'accéder aux moteurs.

De ce très bref rappel historique il nous plaît de retenir l'incroyable ténacité des constructeurs. Cette ténacité est la démonstration la plus éclatante de la vitalité d'une industrie contre laquelle certaines critiques des plus justes avaient été prodiguées. Mais sans doute ces critiques ne touchaient-elles pas au fond des choses, puisque pour l'essentiel la capacité de volonté et de travail de l'aéronautique nationale n'avait pas été entamée.
L'hydravion Potez-161, entièrement métallique, est un monoplan hexamoteur à coque centrale et à ballonnets latéraux. Les six moteurs Hispano-Suiza qui l'équipent sont tractifs et munis d'hélices Ratier à pas variable en vol. Son envergure est de 46 mètres ; sa longueur totale, de 32 m. 37 ; sa hauteur, de 8 m. 37· D'un poids total de 43 tonnes et d'un poids équipé de 22 t. 98, il peut emporter une charge disponible légèrement supérieure à 20 tonnes et comportant 16 t. 84 de combustible et de lubrifiant, 7 hommes d'équipage et une charge commerciale de 2 t. 62. Son rayon d'action est de 6.ooo kilomètres avec un vent debout constant de 6o kilomètres-heure, à une vitesse de croisière de 216 kilomètres, compte tenu du vent. En outre, sa vitesse maximum est de 354 kilomètres-heure et sa vitesse d'amérissage, de 120 kilomètres-heure.
La cuisine et son équipement moderne.
Si nous étudions plus avant les caractéristiques fondamentales de l'appareil, nous constatons que la coque proprement dite a une longueur de 32 m. 38 et une largeur de 4 mètres au fort. Cette coque est divisée en 12 compartiments étanches par des cloisons, de telle manière que la flottabilité soit encore assurée même si deux compartiments voisins étaient envahis par l'eau. De plus, cinq des compartiments étanches forment soute à essence, d'une capacité globale de 26.500 litres.
Fait important : les ballonnets peuvent être relevés en vol. Ils ont chacun un volume de 3.700 litres, sont interchangeables et divisés en quatre compartiments étanches. De larges portes en permettent l'accès intérieur.
Les six groupes moto-propulseurs sont placés dans le bord d'attaque de l'aile. Ils sont identiques, au sens de rotation près, et interchangeables. Ils sont visitables en vol, tant par l'arrière que sur les faces latérales, grâce
à un couloir d'accès situé dans le caisson de voilure. Il en va de même de toutes leurs commandes. Enfin les capots comportent des panneaux formant planchers de travail et permettant une inspection totale, au sol ou à
flot, des accessoires du moteur.
Toutes les mesures concevables de sécurité technique ont été prises. C'est ainsi que des dispositifs contre le givre ont été installés, que l'alimentation est assurée par des pompes à moteur électrique et que la pompe normalement en service est doublée par une autre pompe, également électrique, qui peut être mise en route si la première est avariée. En cas de panne de courant, une pompe de secours à main semi-rotative intervient. De plus, une nourrice d'essence de 8o litres est placée derrière chacun des six moteurs ainsi qu'un réservoir d'huile radiateur d'une contenance de 85 litres. Une réserve de 300 litres d'huile est aménagée dans le plan central. Tous les incidents d'alimentation ont donc été, sauf cas de fatalité, totalement prévus.
En ce qui concerne l'aménagement, l'hydravion est divisé en trois parties : une partie avant, réservée à l'équipage ; une partie centrale, affectée aux passagers ; une partie arrière, pour les servitudes et le fret.
Aménagement d'une cabine de luxe.
A l'extrême avant sont placés l'ancre et les apparaux de manœuvre. Une trappe coulissante permet le mouillage de l'ancre et les prises de bouées. Derrière se trouvent les pilotes, installés côte à côte et légèrement décalés. Le pilote principal, placé à gauche, a les commandes de pilote automatique à portée de sa main à bâbord. Les commandes des moteurs sont au plafond, entre les deux pilotes.
Entre les pilotes et la partie centrale réservée aux passagers se trouve la chambre des navigateurs, des radios et des mécaniciens. Par une échelle, ceux-ci peuvent accéder au plafond et atteindre le couloir de voilure permettant la visite en vol des six moteurs.
Dans sa partie centrale, l'hydravion peut admettre de quatorze à seize passagers, confortablement installés. Cinq cabines leur sont réservées. Seules les quatre dernières sont aménagées, soit avec des couchettes superposées, soit avec des fauteuils. Elles possèdent des tables pliantes et un large coffre pour recevoir les bagages. Chaque cabine a environ 2 mètres sur 2, avec une moyenne de plafond de 2 m. 25. Elle est éclairée directement par quatre grands hublots et elle est insonorisée. Quant à la cinquième cabine, elle est affectée à la cuisine et comprend une glacière, un placard à vaisselle, un meuble à pain, un réchaud électrique ainsi que des bouteilles thermos renfermant la nourriture et la boisson des passagers. En outre, deux couchettes superposées sont réservées au repos de l'équipage. Ajoutons que cet ensemble d'aménagements comporte des circulations d'air par pression et par dépression, circulations ayant pour objet d'assurer la ventilation sous les planchers au-dessus des réservoirs d'essence.
Enfin les installations arrière comportent deux lavabos et un salon-toilette ainsi qu'une soute à fret, dans laquelle sont logés les canots de sauvetage.
La construction de ce magnifique hydravion a nécessité un matériel des plus considérables. C'est ainsi que le nombre des rivets en duralumin utilisés atteint 1.500.000. La longueur des canalisations électriques avoisine 5 kilomètres ; celle des tuyauteries pour les circuits intéressant l'essence, l'eau, l'huile, l'air, comprimé ou déprimé, représente 2 kilomètres et demi de duralumin et 700 mètres de cuivre. Le nombre total de roulements à billes employés dépasse 400. Un mécanicien partant de son poste central et se rendant à l'un des moteurs extrêmes parcourt 18 mètres. La longueur du tunnel de voilure dans lequel il doit se déplacer pour visiter ses six moteurs et leurs accessoires est de l'ordre de 24 mètres, distance qu'il peut parcourir sur un chariot spécial.
Ces quelques caractéristiques très générales permettront sans aucun doute de mesurer la valeur immense d'un effort de l'aéronautique française effectué en pleine période de guerre pour un but de paix. A beaucoup il eût semblé normal d'abandonner dans les temps exceptionnels que nous vivons une entreprise dont la fin utilitaire pouvait paraître plus que douteuse ou, tout au moins, de la renvoyer à des dates lointaines. Les constructeurs et les animateurs de l'hydravion transatlantique Potez-161 n'en ont pas jugé ainsi. Se crispant littéralement à leur tâche, ils ont entendu la mener à bonne fin. Cette volonté de décision est consolatrice de bien des choses. Dans une large mesure, elle permet d'augurer favorablement de l'avenir ; c'est pourquoi nous considérerons non sans une pointe d'orgueil la réussite parfaite d'un prototype qui en toute autre circonstance eût suffi à couvrir d'honneurs ceux qui l'auraient réalisé.
DE formes marines très accusées, d'une grande finesse de lignes, le Potez-161 a été particulièrement étudié pour les vols transatlantiques.
Les ballonnets sont escamotés dans les fuseaux moteurs.
L'hydravion transatlantique en vol.
Au-dessus du poste de navigation, les mâts d'antenne de T.S.F. et le cadre de radiogoniométrie. Notez la pureté du raccord de l'aile à la coque.

Après l'accident du "Lionel de Marmier" - La Revue Aéronautique - Décembre 1945

Le Lionel-de-Marmier échoué sur la lagune de Rochas.

La cabine tragique avant et après l'accident.
L'hélice a tranché le fuselage juste entre la flottaison
et les tansmissions des commandes
Le commandant Lefèvre, parti dans la mission d'étude sur le Lionel-de-Marmier, et de retour de Montévidéo, a fait, le mercredi 14 novembre à 15 heures, une conférence de presse au Ministère de l'Information.
Il a relaté, en détails, l'historique des essais du Lionel-de-Marmier, le voyage et enfin l'accident lui-même.
L'orateur a particulièrement souligné, en conclusion, la catastrophe qu'eût été un pareil accident sur n'importe quel autre appareil que le "Lionel-de-Marmier".
Il a ajouté : "Je suis revenu de Rio de Janeiro avec l'avion du général de Gaulle, l'Avro York, qui possède des moteurs de même puissance que le Laté 631, soit 4 moteurs de 1.600 chevaux, alors que le Lionel-de-Marmier est équipé de 6 moteurs. Le poids en charge du York atteint, je crois, 40 tonnes, tandis que le Laté 631 est de 72 tonnes. Eh bien ! je ne pouvais m'empêcher de penser tout au long du vol qui me ramenait vers Paris, à ce qu'il arriverait si une pale d'hélice se détachait : le fuselage serait infailliblement coupé en deux, la chute brutale s'ensuivrait, avec la perte de tous les passagers ! Ces derniers, d'ailleurs, faisaient des
réflexions identiques et des comparaisons favorables pour le Lionel-de-Marmier, plus rapide, plus confortable et moins bruyant".
Voici à propos de cet accident, une information sur laquelle la presse américaine s'est bien gardée d'insister et pour laquelle elle n'a pas mis en cause le département de la Marine :
Les essais du Martin-Mars, hydravion quadrimoteur de 67.420 kgs, ont commencé vers fin novembre 1941, mais le 6 décembre, une des pales d'hélice du moteur intérieur droit s'est détachée pendant que l'appareil hydroplanait pour prendre sa position de départ et est venue percer le fuselage, blessant un homme. L'hélice, déséquilibrée, a provoqué l'arrachement du moteur de son bâti et le feu dans le moteur et le fuseau-moteur. L'aile et une partie du fuselage ont été détériorées.
L'avion a été échoué le long d'un chenal pour permettre d'éteindre l'incendie.
La cause de la rupture de l'hélice n'a pas été publiée.

Le système de mise à l'eau des hydravions Laté 631 à Biscarrosse

Il ne subsiste pas grand-chose de l'hydrobase des Hourtiquets. L'immense treuil qui servait à hisser ou mettre à l'eau les Latécoère 631, ainsi qu'une maquette montrant le dispositif de mise à l'eau via le slip (rampe d'accès) sont maintenant visible au musée de l'hydraviation, sur le site de l'ancienne base de montage et d’essais en vol de la société Latécoère.
Principe de mise a l'eau sur slip.


Treuil servant à hisser les Laté 631 sur le slip.
Le F-BDRA halé par "le personnel ouvrier", sur le slip aux Hourtiquets.
F-BDRA sur le slip.
Principe de mise a l'eau sur slip.

Quatrième accidenté de sa série - Le Figaro - 30 Mars 1950

Un Latécoère 631 s'engloutit au large du cap Ferret avec ses douze occupants. 
C'est au cours d'un vol de réception que la catastrophe s'est produite.


Bordeaux. 29 mars. - L'aviation française est en deuil. Un terrible accident, dont on ignore encore les causes, s'est produit, hier après-midi, au large du cap Ferret, provoquant la mort de douze personnes, toutes appartenant à des services techniques aéronautiques. Un hydravion géant de la base de Biscarosse - un Latécoère 631 - s'est abîmé en mer, à deux kilomètres de la côte. La pinasse Etoile-Filante, du port d'Arcachon, et le chalutier Henri-Jauvin, des Sables-d'Olonne, se dirigèrent aussitôt vers le lieu la catastrophe et une bouée fut mouillée à l'endroit où s'était englouti l'hydravion.

L'extrémité du plan droit se détache


Des témoins du drame nous ont déclaré : 
- Nous suivions les évolutions de l'hydravion géant depuis l'Océan, du côté du cap Ferret, quand, alors qu'il était à une altitude d'environ 1.200 mètres, se détacha l'extrémité du plan droit.
- L'appareil perdit de la hauteur. On sentait que le pilote faisait des efforts pour redresser son appareil en donnant le maximum au moteur. A ce moment l'hydravion laissa échapper un panache de fumée, se mit en vrille, sembla un instant vouloir se redresser, mais en quelques secondes, le lourd appareil s'écrasait dans l'Océan, qui était hier particulièrement calme.
- Aucun débris n'apparaissait... Nous avons alerté la base de Biscarosse, cependant que les habitants de la région se portaient vers la plage, essayant de repérer le point de chute et de découvrir des épaves.
C'est un peu plus tard que le chalutier repêchait un corps, tandis que la pinasse en hissait à son bord deux autres qui ont été transportés à Arcachon dans la salle du conseil municipal, transformée en chapelle ardente. Il s'agit de MM. Robert Boissard, chef pilote, Jacques Brotin et Dumonteil.

Recherches à la lueur des fusées d'avion


Et toute la nuit des bateaux éclairés par des fusées que lançaient des avions ont patrouillé sur les lieux du sinistre. Au matin, on a pu repérer l'épave, qui gît par 40 mètres de fond, à 3 kilomètres de la côte.
Des appareils venus de la base de Biscarosse ont recommencé leurs vols dès le lever du jour, afin d'essayer de découvrir les neuf autres victimes. Précisons que le chef pilote Boissard effectuait en l'occurrence un dernier vol d'essai avant de regagner, dans la soirée, Paris où il devait prendre son congé... A midi, le préfet de la Gironde est venu s'incliner dans la chapelle ardente et a déposé une gerbe de fleurs.

La liste des victimes


Voici la liste des victimes :
MM. Boissard, chef pilote de la S.E.M.A.F. (Paris) ; Dumonteil, mécanicien (Biscarosse) ; Coulé, mécanicien (Biscarosse) ; Faugère, mécanicien (Biscarosse) ; Lepêcheur, radio (Arcachon) ; Renaud, directeur des services techniques (Biscarosse) ; Remory, service technique (Biscarosse) ; Grezel, adjudant (Biscarosse) ; Malpot, ingénieur, chef de base (Biscarosse) ; Bouchery, directeur technique de la Société des Hélices Ropol ; Martin, de la Société des Hélices Ropol ; Brotin, de la Société des Hélices Ropol.

Premières hypothèses sur la catastrophe une pale d'hélice aurait lâché comme en 1945 au large de l'Uruguay


Le Laté 631 n°3, immatriculé F-BANU, dont la compagnie privée S.E.M.A.F. (Société d'Exploitation du Matériel Aéronautique Français) que dirige M. Julien Brunhe, ancien président de la Commission des Transports au Conseil de la République, avait pris livraison mardi matin, avait effectué un premier vol de réception dans la journée même. C'est au cours du deuxième vol que s'est produite la catastrophe.
Nous avions indiqué hier, dans nos nouvelles aériennes, que des essais de vibration d'hélice allaient avoir lieu sur cet appareil. C'est en effet là le point sensible de l'hydravion géant : trop de démonstration en ont été faites.
S'il faut en croire certains techniciens que nous avons consultés hier, voici l'hypothèse la plus logique sur les causes du sinistre.
Tout comme lors de l'accident du Lionel-de-Marmier, le 31 octobre 1945, au-dessus des côtes de l'Uruguay, une des pales d'hélice se serait détachée en vol. Mais au lieu qu'il s'agisse d'une hélice du premier moteur bâbord, comme en 1945, l'incident mécanique serait survenu au moteur de bout d'aile, où les vibrations sont autrement dangereuses. On voit dès lors le déroulement du drame : la pale vole en l'air, le moteur vibre à toute extrémité et s'arrache du plan, qui cède à son tour. C'est ensuite la vrille, dont le mastodonte ne peut pas sortir, et l'écrasement dans les flots.
« Mais pourquoi, nous a-t-on dit, alors que les moteurs américains de l'appareil auraient du être équipés d'hélices américaines Hamilton, écoulait-on sur ceux-ci un stock d'hélices françaises ? Le souci parfaitement justifiable d'utiliser nos propres ressources industrielles, voire nos stocks vieillis, ne doit-il pas céder le pas, en tout cas, à la « sécurité d'abord » ? » Le F-BANU avait une vingtaine d'heures de vol à son actif. Il devait en effectuer encore dix environ avant d'entrer en service.
Un autre hydravion du même type était en exploitation sur la ligne Biscarosse-Abidjan, où il avait fait treize voyages avec 17 tonnes 5 de fret. Il était, en principe, réservé au transport cargo. Avec 520 heures de vol, il avait grillé une fois un moteur mais s'était posé normalement à Port-Etienne. Son meilleur temps avait été réalisé lors de son dernier parcours : 4.500 kilomètres en 13 h. 47 de vol.

Le Latécoère 631 pratiquement interdit de vol ?


- Le Laté 631 va-t-il être interdit de vol ? Avons-nous demandé dans les milieux officiels.
- Il faut une décision du ministre des Transports et des Travaux Publics qui serait prise sans doute en accord avec la direction technique et industrielle du ministère de l'Air.
- N'est-ce pas une procédure un peu longue alors qu'il est arrivé aux Américains d'interdire du jour au lendemain un appareil comme le Constellation, en attendant des résultats d'enquête ?
- Pratiquement, on peut considérer dès maintenant le 631 comme interdit de vol. Il ne circulera certainement pas ces temps-ci. En réalité, il s'agissait plus de matériel mis en essai qu'en exploitation.
- Sur quels itinéraires avait-on songé à le mettre en service en dehors de Biscarosse-Abidjan ?
- On avait pensé à l'Indochine, mais l'obligation de le faire amerrir sur la rivière de Saigon, où il risquait d'essuyer le feu des partisans, avait empêché de réaliser ce projet. Bien entendu, seul le transport de fret était envisagé.

Caractéristiques principales de l'hydravion Laté 631


- 6 rnoteurs Wright en étoile de 1.900 CV ;
- envergure : 57 mètres ;
- autonomie de vol : 4.700 kilomètres ;
- vitesse de croisière : 320 kilomètre-heure ;
- version passagers (abandonnée) :  52 personnes ;
- version cargo : 17 t. 5.

Les accidents du Laté 631


31 octobre 1945 : au cours d'un vol de démonstration France-Amérique du Sud (retour) une pale d'hélice se détache. L'hydravion fait un amerrissage forcé sur la lagune de San Ignacio, à 100 kilomètres environ de Montevideo. 2 morts.
21 février 1948 : le Laté 631-07, parti du Havre, par mauvais temps, sans équipement radio, s'abîme dans les flots au large de Saint-Martin-de Varreville, non loin de Cherbourg. 19 morts.
1er août 1948 : lors de sa 26eme traversée de l'Atlantique sur la ligne des Antilles le Laté 631 F-BDRC disparaît en mer. Dernier message à 2.300 kilomètres de Port-Etienne. Air France renonce à exploiter cet appareil. 52 disparus.

D.M.