Un Latécoère 631 s'engloutit au large du cap Ferret avec ses douze occupants.
C'est au cours d'un vol de réception que la catastrophe s'est produite.
Bordeaux. 29 mars. - L'aviation française est en deuil. Un terrible accident, dont on ignore encore les causes, s'est produit, hier après-midi, au large du cap Ferret, provoquant la mort de douze personnes, toutes appartenant à des services techniques aéronautiques. Un hydravion géant de la base de Biscarosse - un Latécoère 631 - s'est abîmé en mer, à deux kilomètres de la côte. La pinasse Etoile-Filante, du port d'Arcachon, et le chalutier Henri-Jauvin, des Sables-d'Olonne, se dirigèrent aussitôt vers le lieu la catastrophe et une bouée fut mouillée à l'endroit où s'était englouti l'hydravion.
L'extrémité du plan droit se détache
Des témoins du drame nous ont déclaré :
- Nous suivions les évolutions de l'hydravion géant depuis l'Océan, du côté du cap Ferret, quand, alors qu'il était à une altitude d'environ 1.200 mètres, se détacha l'extrémité du plan droit.
- L'appareil perdit de la hauteur. On sentait que le pilote faisait des efforts pour redresser son appareil en donnant le maximum au moteur. A ce moment l'hydravion laissa échapper un panache de fumée, se mit en vrille, sembla un instant vouloir se redresser, mais en quelques secondes, le lourd appareil s'écrasait dans l'Océan, qui était hier particulièrement calme.
- Aucun débris n'apparaissait... Nous avons alerté la base de Biscarosse, cependant que les habitants de la région se portaient vers la plage, essayant de repérer le point de chute et de découvrir des épaves.
C'est un peu plus tard que le chalutier repêchait un corps, tandis que la pinasse en hissait à son bord deux autres qui ont été transportés à Arcachon dans la salle du conseil municipal, transformée en chapelle ardente. Il s'agit de MM. Robert Boissard, chef pilote, Jacques Brotin et Dumonteil.
Recherches à la lueur des fusées d'avion
Et toute la nuit des bateaux éclairés par des fusées que lançaient des avions ont patrouillé sur les lieux du sinistre. Au matin, on a pu repérer l'épave, qui gît par 40 mètres de fond, à 3 kilomètres de la côte.
Des appareils venus de la base de Biscarosse ont recommencé leurs vols dès le lever du jour, afin d'essayer de découvrir les neuf autres victimes. Précisons que le chef pilote Boissard effectuait en l'occurrence un dernier vol d'essai avant de regagner, dans la soirée, Paris où il devait prendre son congé... A midi, le préfet de la Gironde est venu s'incliner dans la chapelle ardente et a déposé une gerbe de fleurs.
La liste des victimes
Voici la liste des victimes :
MM. Boissard, chef pilote de la S.E.M.A.F. (Paris) ; Dumonteil, mécanicien (Biscarosse) ; Coulé, mécanicien (Biscarosse) ; Faugère, mécanicien (Biscarosse) ; Lepêcheur, radio (Arcachon) ; Renaud, directeur des services techniques (Biscarosse) ; Remory, service technique (Biscarosse) ; Grezel, adjudant (Biscarosse) ; Malpot, ingénieur, chef de base (Biscarosse) ; Bouchery, directeur technique de la Société des Hélices Ropol ; Martin, de la Société des Hélices Ropol ; Brotin, de la Société des Hélices Ropol.
Premières hypothèses sur la catastrophe une pale d'hélice aurait lâché comme en 1945 au large de l'Uruguay
Le Laté 631 n°3, immatriculé F-BANU, dont la compagnie privée S.E.M.A.F. (Société d'Exploitation du Matériel Aéronautique Français) que dirige M. Julien Brunhe, ancien président de la Commission des Transports au Conseil de la République, avait pris livraison mardi matin, avait effectué un premier vol de réception dans la journée même. C'est au cours du deuxième vol que s'est produite la catastrophe.
Nous avions indiqué hier, dans nos nouvelles aériennes, que des essais de vibration d'hélice allaient avoir lieu sur cet appareil. C'est en effet là le point sensible de l'hydravion géant : trop de démonstration en ont été faites.
S'il faut en croire certains techniciens que nous avons consultés hier, voici l'hypothèse la plus logique sur les causes du sinistre.
Tout comme lors de l'accident du Lionel-de-Marmier, le 31 octobre 1945, au-dessus des côtes de l'Uruguay, une des pales d'hélice se serait détachée en vol. Mais au lieu qu'il s'agisse d'une hélice du premier moteur bâbord, comme en 1945, l'incident mécanique serait survenu au moteur de bout d'aile, où les vibrations sont autrement dangereuses. On voit dès lors le déroulement du drame : la pale vole en l'air, le moteur vibre à toute extrémité et s'arrache du plan, qui cède à son tour. C'est ensuite la vrille, dont le mastodonte ne peut pas sortir, et l'écrasement dans les flots.
« Mais pourquoi, nous a-t-on dit, alors que les moteurs américains de l'appareil auraient du être équipés d'hélices américaines Hamilton, écoulait-on sur ceux-ci un stock d'hélices françaises ? Le souci parfaitement justifiable d'utiliser nos propres ressources industrielles, voire nos stocks vieillis, ne doit-il pas céder le pas, en tout cas, à la « sécurité d'abord » ? » Le F-BANU avait une vingtaine d'heures de vol à son actif. Il devait en effectuer encore dix environ avant d'entrer en service.
Un autre hydravion du même type était en exploitation sur la ligne Biscarosse-Abidjan, où il avait fait treize voyages avec 17 tonnes 5 de fret. Il était, en principe, réservé au transport cargo. Avec 520 heures de vol, il avait grillé une fois un moteur mais s'était posé normalement à Port-Etienne. Son meilleur temps avait été réalisé lors de son dernier parcours : 4.500 kilomètres en 13 h. 47 de vol.
Le Latécoère 631 pratiquement interdit de vol ?
- Le Laté 631 va-t-il être interdit de vol ? Avons-nous demandé dans les milieux officiels.
- Il faut une décision du ministre des Transports et des Travaux Publics qui serait prise sans doute en accord avec la direction technique et industrielle du ministère de l'Air.
- N'est-ce pas une procédure un peu longue alors qu'il est arrivé aux Américains d'interdire du jour au lendemain un appareil comme le Constellation, en attendant des résultats d'enquête ?
- Pratiquement, on peut considérer dès maintenant le 631 comme interdit de vol. Il ne circulera certainement pas ces temps-ci. En réalité, il s'agissait plus de matériel mis en essai qu'en exploitation.
- Sur quels itinéraires avait-on songé à le mettre en service en dehors de Biscarosse-Abidjan ?
- On avait pensé à l'Indochine, mais l'obligation de le faire amerrir sur la rivière de Saigon, où il risquait d'essuyer le feu des partisans, avait empêché de réaliser ce projet. Bien entendu, seul le transport de fret était envisagé.
Caractéristiques principales de l'hydravion Laté 631
- 6 rnoteurs Wright en étoile de 1.900 CV ;
- envergure : 57 mètres ;
- autonomie de vol : 4.700 kilomètres ;
- vitesse de croisière : 320 kilomètre-heure ;
- version passagers (abandonnée) : 52 personnes ;
- version cargo : 17 t. 5.
Les accidents du Laté 631
31 octobre 1945 : au cours d'un vol de démonstration France-Amérique du Sud (retour) une pale d'hélice se détache. L'hydravion fait un amerrissage forcé sur la lagune de San Ignacio, à 100 kilomètres environ de Montevideo. 2 morts.
21 février 1948 : le Laté 631-07, parti du Havre, par mauvais temps, sans équipement radio, s'abîme dans les flots au large de Saint-Martin-de Varreville, non loin de Cherbourg. 19 morts.
1er août 1948 : lors de sa 26eme traversée de l'Atlantique sur la ligne des Antilles le Laté 631 F-BDRC disparaît en mer. Dernier message à 2.300 kilomètres de Port-Etienne. Air France renonce à exploiter cet appareil. 52 disparus.
D.M.
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